Les mots de Guy Lavigerie sur « 12 lessons » de Giorgi Mrevlishvili
et
« Les heures heureuses »: A preuve, le film de Martine Deyres
Si loin si près
La sélection du festival Après Varan 2020 a permis de montrer, l’un à la suite de l’autre, deux films dont le dénominateur commun était le handicap psychique et son traitement au sein d’une société donnée.
Il s’agissait de « 12 lessons » de Giorgi Mrevlishvili (2019) diffusé le 12 décembre et de « Les heures heureuses » de Martine Deyres (2019) diffusé le lendemain. Le fil de la programmation nous a ainsi fait passer du singulier individuel empirique de « 12 lessons » au singulier collectif et historique porté par « Les heures heureuses ».
Certes, ce sont deux réalisations aux antipodes l’une de l’autre; mais l’une et l’autre visent le traitement de cas cliniques, ou comment soulever le fardeau de la désocialisation que provoquent les « aliénations » psychiques. Surtout, elles traitent de deux époques éloignées l’une de l’autre, en des lieux européens distants l’un de l’autre.
« 12 lessons »: Dans un village de Géorgie dont les récoltes sont détruites par des nuées d’insectes, un jeune adolescent autiste est pris en charge par son grand-père qui lui apprend, avec l’énergie de la foi, et des procédés simples et ingénieux, l’autonomie qui lui fait défaut. Jamais nous n’avons le regard des protagonistes vers la caméra. Ils vivent sous celui du réalisateur qui semble avoir fondu sa présence en leur sein (manifeste, la scène d’entraînement à vélo). Cet abord de l’objectif n’est pas nouveau dans le documentaire contemporain, mais comme l’a bien dit Michèle Gales dans le débat qui a suivi, « on filme différemment selon les époques ».
« Les heures heureuses »: A preuve, le film de Martine Deyres, qui travaille sur des images d’archives de la psychothérapie institutionnelle en France (et en milieu rural) depuis la deuxième Guerre Mondiale jusqu’au début des années soixante-dix, donne à voir un franc rapport des filmeurs aux filmés, où les regard caméra confiants sont légion. Dans ce second cas, on parle d’un monde révolu, ainsi que le débat l’a mis en évidence. Alors que la pratique à Saint-Alban (Lozère), visait à « provoquer l’intérêt et l’accrochage du malade à la vie sociale et à la communication » selon l’expression de Francesc Tosquelles le fondateur de cette approche, il faut se rendre à l’évidence qu’en 2020 le quotidien est évacué de la psychiatrie, nous dit Mathieu Bellahsen.
Autre élément distinctif de ces deux films: Dans « 12 lessons », le contexte fantastique et esthétique d’une « guerre des insectes » sur fond de messages radio et de bulletins d’information, entrecoupé d’images environnementales parfois déréalisantes (vaches, chevaux et gros plans obsédants d’insectes). Dans « Les heures heureuses » l’impossibilité de fantasmer sur des archives dont la répétition pourrait s’épuiser; mais au contraire, nous dit Martine Deyres, « une édification permanente » à Saint-Alban où de grands médecins ne cessent de travailler avec des artistes, des poètes et des philosophes — Francesc Tosquelles, Paul Balvet, Lucien Bonnafé, Frantz Fanon, Jean Oury, Paul Eluard et Nush, Georges Canguilhem…
Je le dis, dans ce cas nous parlons d’un monde révolu dont la réussite d’alors semble prendre, avec le temps, un tour mythique, celui d’une réussite incomparable de la psychiatrie française du milieu du XXè siècle. C’est sans doute la raison pour laquelle le docteur Houchang Guilyardi avance l’idée qu’une large diffusion du film « Les heures heureuses » pourrait « permettre un redémarrage de la psychiatrie institutionnelle. » Et Philippe Elusse, en tant que distributeur, a de bonnes raisons de croire à pareille diffusion. Une évidence ressort du documentaire de Martine Deyres: les archives sur lesquelles elle a travaillé montrent une intense vie sociale.
Cette vie sociale, on serait bien en peine, aujourd’hui, d’en fournir l’équivalent tant elle est éclatée. En France ou en Géorgie, en 2019 et en 2020, on ne saurait filmer de la maladie que des cas isolés, des situations de lutte à partir de rien, qu’il faut porter à bout de bras avec une foi de charbonnier. La foi de Valerian, le grand-père de Vako.
Guy Lavigerie,
16 décembre 2020
Les mots de Guy Lavigerie sur le film de I GUERRIERI de Loredana Acquaviva
Bonjour Loredana!
J’assistais hier à la diffusion de ton film dans le festival Après varan, sur You Tube. J’ai suivi la séance jusqu’à son terme. Grâce à la mémoire des précédents festivals, j’avais l’impression de retrouver, comme en arrière-fond, la qualité des présences en salle… C’est dire que, pour cette première expérience festivalière en ligne, je ne me suis pas senti seul! D’autant que tu nous accueillais dans ta famille en Italie!
I GUERRIERI : J’ai beaucoup aimé l’entrée en matière par les premières
images d’archives, musicales et dynamiques, celles de la fratrie en route pour une sortie familiale avec les parents embarqués dans une autre voiture, les deux voitures à hauteur l’une de l’autre, le lien qui s’exprime à travers la vitre entre parents et enfants. Et quand, Loredana, tu nommes la relation d’amour qui unit alors ta famille, nous spectateurs, y croyons. Je souligne également le rôle joué par la narration de la situation que fait ton frère, le conducteur de la voiture où tu te trouves: quelle intelligence a-t-il de nommer les choses aussi clairement, dans une forme de synopsis parfait! Ce même frère que l’on verra plus tard embrasser son père avec tendresse sur son lit d’hôpital.
Ta mère dans la cuisine, qui parle avec détachement et douceur en fumant nerveusement (j’aime ce plan), te confiant l’essentiel qui fonde alors sa relation à son mari; nous la croyons elle aussi quand elle se dit forte. Plus loin elle nous montre, dans un moment douloureux pour lui (la scène de « la langue ») qu’elle s’est affranchie d’un mode ancien de la relation conjugale.
Le débat après le film a permis de nommer la dimension théâtrale de ton
film. J’y souscris. Les « terroni » ont en effet la force de la terre et des rapports directs. Présence des rituels religieux et des sortilèges également. Il y a comme un archétype de la passion aimante dans « cette » famille (j’ai l’air de parler comme si ce n’était pas la tienne, je la respecte sincèrement). De même qu’au théâtre l’archaïsme est une force essentielle.
La question du film « privé » versus le film « universel »; difficile d’y échapper. Je crois avoir entendu ça moi aussi, en 2003, quand je faisais mon stage aux Ateliers Varan. Que cela ne soit plus que souvenir de l’obstacle franchi!
Je te souhaite, avec « I guerrieri », un joli parcours de programmation.
A toi,
à ta famille,
à tes personnages bien réels et bien vivants,
Chaleureusement,
pour info : https://jirai.fr
Le mot de Renato Athias, anthropologue, professeur de l’université au Brézil et en Europe, directeur du Festival Internationale du Filme Ethnographique du Recife sur l’ openning du festival :
Chère Mina,
Je voudrais te féliciter pour l’ouverture du 6ème. Festival International « Après Varan » du film documentaire. C’était très bon. C’était agréable d’entendre et de voir Jocelyne, de la Fondation Jean Rouch; Carlos, notre ami de « Ao Norte » et José Ribeiro, qui a développé un peu plus, son idée de « l’état de grâce » dans la production de documentaires anthropologiques. J’ai appris maintenant, que cette notion, José prend un texte de Clarice Lispector, écrivain et poète juif d’Ukraine, qui a passé son enfance et son adolescence ici à Recife, et vivant à l’âge adulte dans plusieurs pays et, enfin, déménage à Rio de Janeiro où elle est décédée. Les membres de sa famille sont encore ici à Recife. Je commence à aimer cette notion développée par José Ribeiro.
Ce fut un plaisir d’être présent à cette séance d’ouverture du festival en présentant le film de Loredana Acquaviva: I Guerrieri. Un film très sensible avec un beau récit. Un film, mais beaucoup d’émotions. L’anthropologie travaille maintenant beaucoup plus avec les «émotions» qu’auparavant. On peut déjà parler d’un champ disciplinaire appelé « Anthropologie des émotions ».
Loredana nous présente un grand récit dont les mots passent entre la vie et la mort; entre présence et absence. Un lien, une personne, Mário, le père du réalisatrice, Loredana, qui apporte aux cadres du récit toute la complicité de sa famille autour de ces réflexions sur la vie quotidienne d’une maladie. Au bout de quelques instants, j’entends les réflexions de Susan Sontag qui dormaient dans ma mémoire. En d’autres termes, j’ai fait écho dans ma tête aux paroles de l’amie Beth Salgueiro, décédée d’une maladie, l’année dernière et en tant que chroniqueuse que j’ai lue sur son Facebook, lorsqu’elle a exprimé ses sentiments profonds sur sa propre maladie. Oui oui!
La douleur et la maladie sont des expériences universelles, mais elles sont ressenties de différentes manières parce que notre corps est totalement construit culturellement. Le film apporte ce récit intime qui «retient» les sentiments du spectateur.
La musique du film, à certains moments, nous transporte dans ces situations hilarantes des films de l’Italien Fellini et dont les dialogues nous présentent le drôle de la vie quotidienne et le ridicule avec une profonde et pointue des significations. J’ai vraiment aimé regarder ce film qui émeut le spectateur avec une quantité infinie de questions sur les relations humaines et familiales.
Félicitations à Mina, pour l’organisation d’un festival avec d’excellents documents qui nous fait réfléchir sur les émotions, dans la vie quotidienne de nos vies à des époques et des espaces différents.
Festival International Aprèsvaran : Un grand merci à Renato Athias, anthropologue, professeur de l’ université au (Brazil) et en Europe ( salamanca , …), directeur Festival Internationale du Filme Ethnographique du Recife pour avoir été notre « Key speaker » à l’ouverture de la 6 ème édition du Festival Après Varan …Merci pour ces mots et cette belle présentation de film de Loredana Acquaviva comme il dit si bien un film qui ouvre « d’un champ disciplinaire d ‘ »Anthropologie des émotions », grand récit: entre la vie et la mort; entre présence et absence »…….
Some nice words of Daniel Pearson about the 6th édition of Festival 2020
Festival : Full of gems and surprises
Debates : very engaging and full of spirt and emotion even giving you a fuller picture to what you’ve just watched
I have never been to a film festival before but this year is different. It is the year of zoom meetings and face masks. So, while in the comfort of my own home I decided to attend the Après Varan International Film Festival. As I said I don’t normally go to film festivals and rarer still I don’t find myself writing about them so it is with great respect and with my hand on heart that I can honestly say I thoroughly enjoyed it.
Full of gems and surprises. From the eclectic selection of films which were all highly enjoyable in their own right but a special mention must go out to I Guerrieri a bittersweet documentary by first time director Loredana Acquaviva that tells the story of her family’s fight against Parkinson’s shot over two Christmases made watching it in the month December quite apt.
I even followed the debates and Q&A’s with the directors and organisers after the films and can honestly say that I found them very engaging and full of spirt and emotion even giving you a fuller picture to what you’ve just watched. Hopefully next year I will be able to attend in person.
Daniel Pearson
pippa veroni : Un beau film touchant. Je l’ai aimé beaucoup.BRAVO Loredana Acquaviva.
Gordon Franklin : I’ve watched many documentaries and a lot the new generation of directors don’t seem to have a good connection with their characters. Loredana Acquaviva has a real sensibility and I was captured by this film. Bravo, a 5 stars film from me. We want more films like this!