Projection le samedi 26 avril à 21h
Diplômé d’une maîtrise de l’Inalco en chinois en 1996, Elodie Brosseau travaille à diverses missions dans les domaines de la culture, des médias et cinéma (assistant réalisation et production) puis passe à la réalisation de films documentaires en 2008. En 2009, elle réalise son premier long documentaire en Chine “Yaodong, Petit traité de construction”, en collaboration avec une ethnologue. Depuis, elle est entre la France et la Chine. Un second film est en cours.
Le téléphone sonne. C’est l’heure de ma pause-déjeuner. C’est l’horaire que j’ai proposé à la Cimade (Association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile) pour me joindre pour des traductions bénévoles entre migrants chinois et juristes. Je ne connais ni l’un ni l’autre de mes interlocuteurs, je sais seulement qu’ils m’appellent depuis un centre de rétention administrative. Le film dure le temps d’un appel téléphonique, le temps d’entrevoir une vie, le temps de soulever en moi nombre de tensions, de doutes, de révoltes.
Elodie Brosseau nous parle de son film :
Q- Comment est née l’idée du film ?
L’idée vient de mon expérience de bénévolat en tant qu’interprète en chinois. Alors que je souhaitais mettre ces compétences à profit, j’ai alors découvert l’association la Cimade qui, à ce moment, était la seule association habilitée à informer de leurs droits les étrangers enfermés dans les centres de rétention administrative. Ainsi ont surgis dans ma vie quotidienne parisienne, et par intermittence pendant plusieurs années à partir de 2005, des appels téléphoniques où je ne faisais que traduire les questions et les réponses entre des personnes de nationalité chinoise et de jeunes juristes. Ces derniers, s’éreintaitent à ce que le droit français puissent s’appliquer correctement auprès d’une population fragile venue tenter leur chance ici. C’était un monde inconnu jusqu’alors. Suite à leurs appels, j’étais parfois prises de panique quand je prenais conscience des destins qui s’y jouaient et, par ailleurs, j’étais très curieuse de connaître ces juristes qui semblaient à eux seuls porter sur leur épaules, la défense de nos valeurs françaises humanistes. C’était un sujet difficile à traiter. J’avais tenter dans un premier court-métrage de faire apparaître ce « lieu » et ces juristes qui me semblaient « cachés » de la société. Dans celui-ci, j’ai voulu témoigner de mon expérience en mettant en scène ce que je vivais dans mon quotidien lors de ces appels.
Q- Et rapport filmeur-filmé dans ton film ?
Ayant appris de mon premier documentaire que je n’avais pas assez travaillé à me positionner dans mon rapport filmeur-filmé, que je ne pouvais pas filmer ces personnes-personnages si bousculés par le système qu’étaient les juristes, en leur laissant tous les risques quand on est porté à l’écran, sans moi-même m’impliquer aussi en tant que personnage, j’ai décidé de me mettre de témoigner directement de ce que je vivais, en intégrant cette fois principalement les personnes concernées par cette menace qui plane au quotidien au-dessus de leur tête et avec qui j’avais une relation plus accessible. Les juristes n’apparaissent plus mais leurs questions que je connais désormais par cœur sont elles aussi mises en scène. Les personnes que j’interviewe répondent à ses mêmes questions mais je leur donne chair à l’écran même si en réalité, je n’ai jamais de contact avec toutes ces personnes, dans mon exercice d’interprétation. J’ai pu obtenir la confiance d’une famille étrangère en situation administrative inappropriée grâce à l’aide de concitoyens qui leur apportent un soutien amical régulier, notamment Réseau sans frontière. Ainsi, m’impliquant dans le film, et sachant parler le mandarin, j’ai senti qu’elles acceptaient plus facilement cette intéraction et ce, à la hauteur de leur possibilité : pas trop de temps (faut travailler, travailler), un unique espace pour s’exposer (une pièce glauque pour toute intimité), les valeurs de leur vie (le couple et l’adolescent réunis), la réponse à mes questions (l’espoir d’une vie meilleure). Enfin, j’ai interrogé un ami psychologue qui a accepté que j’enregistre une interview avec lui sur la manière dont il comprenait les conséquences de l’enfermement que subissaient ces personnes sous l’angle de la psychologie. De cette façon, à ma question courte et simple, il répond limpidement par une autre question qui en dit long.
Ecriture du montage et structure de la narration
La narration est structurée de façon à ce que le temps d’un appel, le spectateur puissent expérimenter consécutivement les étapes d’une part de l’appréhension personnelle à ce travail d’interprète «à l’aveugle » et, d’autre part, à une levée de rideau de ce que je comprends rétrospectivement alors de ce qui se « joue ». Enfin,. La question-réponse avec le psychologue est mise en off sur des images d’un centre qui défile sous les yeux du spectateur. Alors ma voix cette fois questionne comme une voix intérieure, la sienne répond avec une certaine autorité de celui qui voit la réalité des choses. Ainsi, la fin du film fait l’échos d’un processus de prise de conscience personnelle d’un état de fait sur lequel je m’interroge. Pour finir, je commence et termine sur un appel. L’un comme l’autre de ces appels s’ouvrent sur une question qui revient sans cesse quand un de ces juristes me joint pour une interprétaion par téléphone : « Je ne vous dérange pas ? ».
Ateliers Varan pour toi
Les Ateliers Varan m’ont permis de passer à l’acte de la réalisation documentaire. J’y ai appris ce qu’était un plan, ce qu’était le temps et l’espace d’un plan, ce que le sens qui subvient entre deux plans raccordés peu créer pour enfin raconter une histoire et que le cinéma permet de capter, pour enfin questionner ce qu’est le réel dans un film. J’ai pris conscience de l’importance d’affiner un point de vue et du rapport filmeur-filmé. La renommée des Ateliers a permis certainement aussi qu’on me fasse confiance pour tenter l’aventure d’un premier documentaire de 90mn en collaboration avec une ethnologue, un film pour lequel nous avons eu l’encouragement d’un prix au festival international du film ethnographique Jean Rouch en 2012 (Prix du patrimoine culturel immatériel).