Projection le dimanche 27 avril à 17h
Béatrice Dubell mène un parcours à la croisée de l’éducation populaire et de la création cinématographique à travers différents types d’activités : réalisation de films, installations, conception de dispositifs de création collective et films d’ateliers dans des milieux divers.
Fuyant l’Algérie, ils arrivent en nombre à Lyon à partir du printemps 1962. L’un d’eux est éducateur spécialisé et écrit une étude sur l’adaptation des jeunes rapatriés d’Algérie en métropole » à partir de l’observation de ses propres enfants. Il a l’idée de créer un club sportif à la Duchère pour canaliser l’énergie des jeunes marqués par la violence et l’exil. En contrepoint à ce récit donné en voix-off, un jeune chercheur en histoire analyse l’évolution de l’image des rapatriés dans la presse locale et éclaire les différents enjeux liés à leur intégration dans la collectivité lyonnaise.
Q- Comment est née l’idée du film ?
D’une part, j’observe cette grande ville, Lyon, ses transformations, son histoire (notamment la part liée à la guerre d’Algérie) à travers une suite de travaux, dont l’un appelle le suivant. Et je m’intéresse tout particulièrement à l’histoire populaire.D’autre part, je travaille dans les interstices, et la Municipalité a permis à des artistes d’œuvrer dans les quartiers de Lyon, à travers des appels à projets dont certains sur la mémoire. Le jeu consiste donc à se glisser dans ces espaces armé d’intentions artistiques tout en faisant œuvre socialement utile. L’idée de parler des rapatriés est venue des entretiens que j’ai fait à la Duchère. Tout le monde s’accordait sur l’influence que cette communauté avait eu sur le quartier, mais aussi sur la difficulté,voir impossibilité d’aborder sereinement le sujet. Le monument aux morts d’Oran est installé à l’entrée du quartier, sur une place Bachaga Boualem, et l’association locale qui veille à l’organisation des cérémonies est vue comme une communauté fermée sur elle-même et sur sa mémoire, au milieu d’un quartier aujourd’hui largement cosmopolite.
Par ailleurs, traiter cette question des rapatriés recoupait mon cheminement. Au fil de mes travaux, il m’est apparu indispensable pour comprendre l’impact social et politique de cette guerre sur la ville et le pays de s’intéresser à « l’après 62 ». C ‘était un vrai défi que d’arriver à traiter cette question de l’intégration des Rapatriés dans une intention d’apaisement. Comment faire entendre ce point de vue, la douleur de l’exil, la difficulté de s’intégrer dans un monde inconnu, voire hostile et à la fois construire un récit qui ne donne pas une chambre d’écho à une mémoire cloisonnée, porteuse d’une nostalgie d’un empire colonial révolu ? La création du club de foot de la Duchère par les Rapatriés d’Algérie, m’a donné le fil conducteur qui permet de conduire le récit.
Q-Le rapport filmeur filmé dans ce film ?
Il a deux voix dans le film, chacune dans son registre. L’une en off, est celle d’un éducateur spécialisé, fondateur du club de foot, qui analyse les besoins de la jeunesse pied noir déracinée à partir de l’observation de ses propres enfants. Le texte est extrait d’une archive privée qui m’a été confiée par son fils. Il est lu par un vieux monsieur, qui était le dernier des fondateurs du club encore de ce monde. Avec les archives privées recueillies, cette voix off permet de mettre en forme une histoire incarnée, et au spectateur de l’appréhender par l’émotion, en s’identifiant au narrateur.
L’autre, voix distanciée, est celle d’un jeune chercheur en histoire qui donne des éléments de contexte en analysant des coupures de la presse locale régionale. Pour autant, celui-ci n’intervient pas comme un spécialiste qui livre une « vérité historique » qui viendrait contrebalancer la subjectivité d’une mémoire. J’ai préféré le montrer au travail, avec ses archives issues de la presse écrite locale. Ainsi, plus qu’une restitution didactique, est montré de manière concrète le processus de construction du récit historique. Les scènes ont été écrites à partir de son mémoire de master et rejouées pour le film.
Q- Parlons de l’écriture, du montage et de la structure de la narration dans ce film ?
Alternent donc deux récits situés dans des registres différents, le spectateur étant tour à tour invité à l’identification, puis à l’analyse. Ce double mouvement, peu habituel, voudrait inciter à une distance et fait appel à une pensée active du spectateur, apte à faire des liens entre des éléments disjoints.
Le montage entremêle des images de nature différentes, archives et séquences contemporaines, montrant à la fois l’écart et la permanence. Les postures des jeunes d’aujourd’hui dans l’espace urbain – même type de lieux, d’activités – font apparaître l’universalité de la question initiale. La grande ville reste de tout temps un espace à conquérir, en échappant aux regards anxieux des parents.
Q Qu’est-ce que les Ateliers Varan vous a ont apporté dans votre carrière ?
C’est une expérience fondamentale. Un moment intense, une bonne école de réalisation, car on est placé dans la situation de faire un film avec de vrais enjeux. On est encadré de manière fraternelle par de vrais réalisateurs, qui se posent de vraies questions … donc c’est un moment de vérité, je crois.