Un homme médiocre, en cette époque de prétendus surhommes, un film d’Angelo Caperna analysé par Daniel Deshays
Synopsis : Quelles sont les ressources des hommes ordinaires quand la violence prend le pouvoir ? Quels sont la place de l’intellectuel et de l’artiste, leur rôle et leur fonction, dans une société en crise ? Dans son journal intime Ranuccio Bianchi Bandinelli raconte sa trajectoire d’homme médiocre, comme il se définit, qui vit la dégradation d’une société prise au piège du fascisme. Ironie du sort, il sera un jour réquisitionné pour servir de guide aux surhommes de son époque, Hitler et Mussolini.
Le film a été en compétition du 36ème Cinemed en 2012 et a reçu le Prix spécial du jury au 20ème Festival international de Tétouan.
Angelo Caperna, né à Rome en 1960, arrive à Paris en 1989 où il découvre en même temps la langue française et le cinéma documentaire d’auteur. Trois ans plus tard il réalise son premier film “‘O core mio – Chansons napolitaines” pour la Sept (Vues sur les Docs – Marseille). Son deuxième film, “Le dossier Melbouci”, a été sélectionné notamment aux Etats Généraux du Documentaire de Lussas.
Christian Tortel, journaliste à RFO et habitué des Dimanches de Varan, nous parle de l’intervention de Daniel Deshays durant la première édition du Festival ApresVaran en 2014 :
Quand on écoute Daniel Deshays, on a envie d’écrire « son » entre guillemets tant il sait le mettre en évidence. On pourrait écouter ce réalisateur sonore parler du « son » sans avoir vu le film, en ayant vu le film, en envisageant de réaliser un film, le résultat serait le même. Mais après son passage, c’est le cinéma qui a changé. Ou plutôt notre manière d’écouter le cinéma.
Daniel Deshays, qui a fondé l’enseignement du son à l’Ecole nationale des Beaux-Arts, était l’invité de Mina Rad : « Il nous fait voir le son autrement, il nous fait entendre le cinéma autrement.» La coordinatrice de ces trois journées où les anciens de Varan présentaient leurs films avait raison. Avant deux journées exceptionnelles « Entendre le cinéma » aux dimanches de Varan, les 11 et 18 mai, écoutons celui qui dirige actuellement l’enseignement de la conception sonore à l’ENSATT (Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre) et qui a publié notamment Pour une écriture du son (2006) et Entendre le cinéma (2010) aux éditions Klincksieck.
Voici quelques notes prises lors de son passage le 27 avril 2014, au premier festival Après Varan.
Daniel Deshays : Au début ce qui frappe, c’est la voix off avec un accent italien. Elle nous embraque dans l’étranger et dans l’étrangeté. Cela participe de notre engagement à l’écoute. La télévision française a du mal à faire ça.
Angelo Caperna : C’est un film qui va à l’encontre du film historique, très autoritaire, qui cherche à imposer quelque chose, qui a peur de l’indécision, de la fragilité.
Daniel Deshays : Tu as fait une déconstruction pour réaliser ta propre construction.
Angelo Caperna : La séquence avant le générique m’a pris trois mois de travail pour le son. Pourquoi le violoncelle ? Parce qu’il est proche de la voix humaine.
Dans une séquence ultérieure, j’ai renversé le traitement. D’abord le travail du son, puis la voix, ensuite l’image.
[Daniel Deshays cite l’exemple de L’Atalante, film de Jean Vigo en 1934, dont la cloche au début du film met le spectateur dans le doute, « à l’endroit du doute », le fait flotter entre réel et imaginaire, entre concret et abstrait.]
Après un deuxième extrait…
Daniel Deshays : Le sonore est dans la vérité. Le sonore nous situe par l’écoute dans une mémoire individuelle et collective. Le spectateur refait silence pour repartir. C’est toujours tenu. Le fil passe par ces silences. Le spectateur doit revenir à soi.
Angelo Caperna : Je ne voulais pas un son réaliste mais un son d’évocation pour que le spectateur reconstitue sa mémoire. Avec un son réaliste, on sortait du film. mon film est un regard désespéré.
[Dans la salle, justement, une spectatrice : j’ai eu l’impression d’être engloutie. Les silences m’ont fait descendre dans un puits. des silences habités.]
Angelo Caperna : Dans le film, le regard va souvent vers le bas. C’est la même chose pour les sons.
La spectatrice : Ça ouvre une grande liberté dans les images.
Angelo Caperna : Dans les films historiques, il existe des images mortes. Il est intéressant qu’avec le son on rende l’invisible à l’image contrairement aux films historiques qui veulent dire une vérité.
Daniel Deshays : Méfions-nous de l’idée d’illustration.
Lors de visionnage d’une troisième séquence du film Un homme médiocre en cette époque de prétendus surhommes (la fin), nous voyons dans un musée des œuvres d’art et des spectateurs qui les regardent. Pas de son direct. La séquence est accompagnée d’une musique de Charles Ives, The unanswered question.
Angelo Caperna : Quand tout est fini, c’est l’amour et l’art. La musique crée la profondeur.
Daniel Deshays : C’est un avènement. La musique peut enfin advenir. La musique n’arrive pas comme un a priori mais à la condition de ce qui est arrivé jusqu’à lors et qui a tâtonné, nous a égaré. Elle se constitue par le creux.
Avant, en peinture, on appelait les « natures mortes » : « natures coites ».
Tout est dit.